Comment est né ce texte, Quelle nuit sommes-nous ? ?
Je vivais à Paris et, un jour, un ami m'appelle pour me proposer ce travail, garder une île avec une artiste, à Venise. Je n'ai pas hésité, je n'avais pas de véritables obligations dans la Capitale. J'avais pris une année sabbatique entre ma première et ma seconde année d'IUT métiers du livre d'Aix-en-Provence, pour écrire. J'étais venu vivre à Paris pour goûter à la vie d'artiste, écrire, lire, vivre. Depuis longtemps, j'avais commencé ce qui est devenu les avenirs. Avant de vivre dans le sud, j'ai habité à Lyon où j'étais étudiant, tout en travaillant et en écrivant, après deux licences, histoire de l'art et lettres modernes, j'ai fait ma demande à la cité du livre d'Aix-en-Provence. J'ai toujours eu envie de partir. L'espace m'attire.
Ce sont vos racines ?
J'ai cru cela longtemps et c'était naturel de le penser. Mais c'est une vision simpliste. Je connais des gens qui ne sont pas berbère marocain, juif, kabyle et espagnol... Ils sont d'origine européenne mais ils ont cette avidité, ce besoin de voyager, d'aller voir ailleurs., d'ouvrir les livres, de voir autre chose que le monde du 20 heures... Bien sûr, venir de quatre horizons différents, tenir en soi autant d'ancêtres, d'âmes, de visages, de destins, de spiritualité, oui... tout cela doit consolider cette idée que le regard doit être posé au-delà de sa propre éducation, au-delà de son cercle d'amis, au-delà de son milieu... Il faut s'enrichir avec l'immatériel et s'appauvrir du reste comme disait Michaux...
Vous viviez donc à Venise quand vous avez commencé le manuscrit ?
Oui. C'est venu une nuit d'insomnie, chose que je ne connaissais pas vraiment : ne pas pouvoir dormir, être happé par la nuit, la vivre, "devoir" la vivre. Je vivais dans l'atelier de la jeune artiste. Elle est restée sur l'île, tandis que moi, j'ai eu besoin de me rapprocher des gens. Elle m'a loué son atelier dans le quartier de l'Arsenal. J'écoutais beaucoup de jazz à cette époque. Les mots sont sortis alors que j'écoutais en boucle "Blue train" de Coltrane.
Vous étiez parti dans l'idée d'écrire un autre roman et d'abandonner le manuscrit des Avenirs ?
Non, non. Je voulais travailler les avenirs (qui ne s'appelait pas comme ça puisque le titre est venu quand j'ai rédigé les dernières pages, à l'automne 2003, donc plus tard, à la fin). Il fallait que je poursuive cette histoire et vivre à Venise, seul, complètement seul désormais, car j'avais quitté l'île décrite dans quelle nuit sommes-nous?.
Les îles vous inspirent ?
Il faut croire... Mais je ne décide rien. Comme dit François Bon : "C'est le livre qui commande". Le temps est l'allier de l'écriture et l'écrivain doit créer la triple entente pour que le livre s'écrive. Sans ces trois éléments, la littérature n'existerait pas. Il y a très peu de bons textes à cause de cela. En fait, il y a beaucoup de bricoleurs de l'écriture, ou de techniciens.
De cette nuit à Venise à la publication, il s'est passé trois ans. Entre temps, j'ai changé, fini Les avenirs et trouvé un bon éditeur. J'ai ressorti le manuscrit de Quelle nuit sommes-nous ?" en novembre 2004, le temps que tout se pose enfin, que le calme revienne en moi. Je venais de connaître ma première publication, et, même si j'ai tout vécu sereinement, cela vous remue en dedans. Quelque chose a changé pour toujours : vous commencez à devenir ce que vous êtes, ce que vous préssentiez en vous-mêmes. C'est l'image de l'éclosion d'une graine de chêne qui me vient le plus naturellement de ma vie aujourd'hui. La route sera longue et il faudra rester debout et droit.
Donc le texte a "surgi" ?
C'est ça. Quelle nuit sommes-nous? est une fulgurance née de la musique et de l'impossibilité de fermer l'oeil. Alors, j'ai écouté les mots intérieurs, la nuit m'a prise, j'ai écrit l'histoire de Samuel Tristan...
Et cette fugue qui déclenche tout ?
Tout est parti de là. Samuel Tristan a fugué à 15 ans et n'ai jamais revenu.
C'est un texte que l'on sent plus proche de vous ?
Il est plus personnel même si c'est un roman, de la fiction. Tout est imaginé. Je connais le Maroc et le Liban. Le reste, je le ressens et je l'imagine pour le rendre vivant. Contrairement à Samuel, je suis revenu trois jours après ma fugue. Mais, j'ai réellement dormi au sommet d'un arbre... une expérience incroyable, une sorte de rituel pour passer à l'âge d'homme, avec cette lutte contre la forêt, de nuit... Inoubliable et fondateur !
C'est très vivant... Vous êtes revenu, de cette fugue ?
Oui et non. J'ai effectivement fugué à 15 ans, mais je suis revenu. C'est comme l'Algérie. Dans les avenirs, ce que je raconte sur mon exil précoce en Algérie, est vécu. C'est comme l'Algérie dans le sens où une partie de moi est revenue à 4 ans et une autre est à jamais errante et s'inscrit dans mon identité d'écrivain, secrète, dans l'art. C'est une chance et une richesse inépuisable de faire du malheur une force.
On ne revient jamais inchangé, c'est ça ?
Oui. Mais certaines personnes, la plupart, reviennent détruites de ce genre d'expérience ou d'une éducation trop stricte, ou trop pleine d'angoisse et de pression psychologique.
En cette rentrée littéraire marquée par le thème de la famille, votre texte se distingue par son originalité et sa force. Par votre poésie, vous ne dîtes rien et vous dîtes tout de la famille ?
La famille, c'est le coeur du roman. Le passé du héros est là, dans son présent. Et je ne dis rien, ou presque. Il faut deviner... La famille de Samuel est présente par son absence. Je n'ai pas voulu dire le pourquoi et le comment. Chacun s'interrogera sur sa propre enfance. Pour savoir quel genre d'adulte nous devenons, il faut savoir quel adolescent nous avons été, quel courage nous a manqué, quel courage nous avons eu. Cela n'a rien à voir avec la psychanalyse. Les histoires forment l'histoire de chacun. Nous sommes une succession de pas qui nous ont amené là où nous sommes aujourd'hui. Quand devons partir ? Quand devons-nous rester ? Quand parler ou quand se taire ? Chacun se donnera ses propres raisons et reconstruira, par sa propre expérience ou intuition, les raisons de la fugue et du non-retour.
Samuel Tristan est un orphelin qui a un père, une mère et un petit frère. Dans les moments les plus difficiles de mon enfance et de mon adolescence, je rêvais secrètement d'être orphelin. Tout aurait été résolu, pensais-je... Quand vous êtes seul au monde, personne ne vient vous secouer ou vous crier dessus pour un oui ou pour un non. Vous êtes responsable et la confiance doit venir de soi. J'ai grandi avec cette idée que j'étais seul au monde parfois. Chacun ressent cela épisodiquement ou durablement... J'adore Huckleberry Finn, l'ami de Tom Sawyer dans l'oeuvre de Mark Twain. C'était mon héros d'enfance en quelque sorte.
Comme tout milieu clos, hierarchisé et codifié, la fermeture est une mort lente. Je refuse l'enfermement. La famille n'est ni bonne ni mauvaise, mais il faut que l'air entre... Le mien, je le trouvais dans les livres et mes malheurs s'en allaient. J'y ai trouvé ma force. Ensuite, j'ai vu que j'étais fait pour écrire, tout résonnait si fort. Il fallait que quelque chose sorte, par le dessin ou l'écriture. Cela aurait pu être par la musique ou la danse. Je crois qu'un lecteur se décharge de son gaz carbonique en lisant et que l'écrivain donne l'oxygène pour aider à vivre, rester debout et droit le plus longtemps possible face au soleil...
Propos recueillis par Frédéric Riskin (radio Tfm), le lundi 29 août 2005.
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